La prise en compte des phénomènes complexes de gentrification, de suburbanisation de la pauvreté, d’exclusion raciale et de néolibéralisation qui caractérisent le processus de développement de la Cité des Roses nous amène ainsi à poser la question du rôle et des impacts de l’agriculture urbaine au sein de ce que certains ont appelé « l’autre Portland». Agit-t-elle en tant que force gentrificatrice? Est-elle un outil d’empowerment et de sociabilité ? Favorise-t-elle le développement d’un meilleur milieu de vie pour les gens des quartiers défavorisés ou participe-t-elle plutôt à leur éventuel déplacement ? La dernière semaine passée à Portland et les multiples rencontres qui s’y sont déroulées m’ont permis d’adresser ces questions et d’en arriver à certains constats généraux.
1 - Faire la distinction entre les différents types d’agriculture urbaine
Tout d’abord, il est nécessaire de procéder à une clarification du termes générique d’ « agriculture urbaine » lorsque l’on s’intéresse à l’intégration de cette dernière dans un contexte de développement inégale. Il y a effectivement une grande différence, par exemple, entre les intrants et les extrants qu’impliquent la pratique de l’agriculture urbaine commerciale et ceux qu’impliquent l’agriculture urbaine sociale. Ces deux pratiques, bien qu’elles puissent paraître très similaires de par l’activité qu’elles ont en commun (faire de l’agriculture en ville), ne partagent pas les mêmes objectifs, valeurs et sensibilité. Lors de nos visites, les motivations des individus responsables d ‘initiatives commerciales semblaient davantage fondées sur une passion pour l’agriculture ainsi que sur une volonté de réalisation personnelle plutôt que sur une réflexion sociale, politique ou communautaire. Inversement, les initiatives portées par des organismes à but non-lucratifs démontraient pour leur part une plus grande conscience politique et s’inscrivaient dans une perspective de changement social. La déconstruction et la clarification des termes à l’étude est en ce sens un préalable à toute réflexion portant sur le rôle et les impacts de l’agriculture urbaine au sein de secteurs aux prises avec des enjeux de ségrégation raciale, de pauvreté et de gentrification.
Plusieurs des intervenants que nous avons rencontrés ont souligné le caractère à la fois économique et politique des phénomènes de gentrification et de déplacement. Ces phénomènes peuvent en effet être considérés comme la conséquence d’une série de facteurs tels que la logique de marché, le désengagement de l’État (local, régional, national) et la mise en place de politiques municipales favorisant la montée des valeurs foncières au détriment des populations les plus vulnérables (non-blanches). Dans ce contexte, l’agriculture urbaine sociale n’a pas beaucoup de chance de sécuriser durablement ses acquis et de se développer dans une perspective à longs termes. C’est pourquoi il est primordial – à l’instar de ce que fait Linving in Cully - d’inscrire l’agriculture urbaine sociale dans une perspective de développement intégré. En ce sens, les initiatives d’agriculture urbaine sociales ne doivent pas être dissociées des questions de logements, d’emploi, d’éducation, etc.
3 - Accroître l’intervention des pouvoirs publics
Nous constatons donc que l’agriculture urbaine sociale se retrouve dans une position délicate en ce sens qu’elle est à la fois en dehors du marché, mais qu’elle est fortement impacté par ce dernier. Comme l’a souligné Tony De Falco, l’accès au capital est un des facteurs les plus essentiels quant à la pérennisation de ces initiatives. Suivant ce cadre les pouvoirs publics devraient intervenir davantage afin de sécuriser des terrains et financer les organismes à but-non lucratifs qui offrent toute sorte de services et améliorent le milieu de vie des populations défavorisées. En outre, la mise en œuvre de politiques de contrôle des loyers permettraient de réduire le phénomène de gentrification et stabiliserait l’augmentation de valeur foncière des terrains.
Karim Hammouda