À Portland, Urban Food Collective (UFC), un acteur déjà important de l’agriculture urbaine, essaie de pousser ces opportunités chez un groupe tout particulier, soit les sans-abris. UFC a créé un jardin collectif aux abords d’un site municipal utilisé comme site de campement par plusieurs sans-abris. Le jardin se trouve quant-à-lui sur un terrain privé, son existence, à l’inverse des campements, est donc plutôt sûre. La proximité du jardin permet d’espérer qu’il soit pris en main par la population voisine. Les objectifs sont donc grands et les défis tout autant. Il semble effectivement qu’un jardin puisse être un moyen cohérent pour permettre à des gens dans une condition extrêmement précaire de se sortir la tête de l’eau. Ils peuvent accéder à une nutrition plus équilibré tout en reprenant un horaire de travail régulier et se sentir valoriser par les résultats de leurs efforts. Cependant, si le projet est beau, les résultats demeurent mitigés.
Tout d’abord, avant même de discuter de la valeur de l’agriculture, il est important de souligner l’opposition de la ville aux campements des sans-abris. Un des membres du UFC, ayant été lui-même sans-abris sur le site municipal pendant huit mois cette année, nous a mentionné des actions brutales contre les campeurs. Il nous parlait de swipes, c’est-à-dire un nettoyage rapide du site où les gens sont déplacés subitement impliquant parfois la destruction des tentes et du matériel de camping. Deux observations peuvent être retirées de ce type d’action. D’une part, évidemment, ces swipes sont le témoignage physique d’une campagne ferme contre cette forme d’habitat au sein de la ville, un refus de l’établissement moindrement stable d’un milieu de vie pour cette population. Selon un organisateur du jardin, Portland compte cependant une très forte population de sans-abris, soit 10 000, comparativement à 3000 à Montréal (1). Donc, les déplacements s’avèrent davantage une solution momentanée à un problème structurel. D’autre part, concernant spécifiquement la réussite du projet, le changement régulier des campeurs sur le site voisin du jardin signifie que les organisateurs doivent renouer des liens avec les participants potentiels. Cependant, créer des liens avec cette population vulnérable demeure un projet complexe et long. Certains souffrent de forte dépendance à l’alcool ou la drogue. D’autres expérimentent un stress intense quotidien ou souffre profondément de maladie mentale. Les approcher demeure donc un défi même pour les personnes les plus dévouées. Une rotation rapide empêche donc de pérenniser la participation des jardiniers. Les actions policières nuisent donc grandement à l’atteinte des objectifs du jardin.
Malgré des défis de taille, les membres du groupe demeurent néanmoins optimistes. La sécurité liée au caractère privé du lot leur permet de mettre en œuvre quelques projets. Ils peuvent, au damne de la ville, bien afficher leur existence et leurs objectifs. Du côté technique, un meilleur système d’irrigation est planifié et la création d’un espace commun fonctionnel est considérée. Éventuellement, il serait possible d’accueillir quelques campeurs et donc de leur fournir un endroit sûr, à l’abri des interventions policières. Il est clair que la grandeur du lieu et sa position stratégique peuvent faire espérer un projet porteur et une visibilité affirmée.
Les jardins collectifs peuvent servir de grandes ambitions, nos visites en témoignent. À plusieurs reprises, nous avons vu le bénéfice de l’agriculture urbaine pour les nouveaux immigrants. Elle permet de donner une certaine stabilité après un grand bouleversement, elle sécurise l’accès à des aliments culturellement valorisé et finalement, elle prépare à la vie productive formelle. Est-il trop ambitieux d’envisager apporter des gains similaires à la population des sans-abris de Portland ou Montréal? Il me semble que non. Cependant, dû à des cicatrices psychologiques souvent profondes et des dépendances tragiques chez les participants potentiels, la réussite d’un tel projet nécessite un budget important et l’engagement sincère des autorités publiques. Ces deux aspects étaient certainement absents. Néanmoins, l’optimisme convaincu des organisateurs nous laisse espérer pour le mieux.
1. http://ici.radio-canada.ca/regions/montreal/2015/07/07/002-sans-abri-itinerance-recensement-2015-resultats.shtml
Jules Laurent-Allard